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DRH, recrutez des gamers comme managers


Certains adeptes des jeux vidéo ont des talents précieux et rares pour le management. Les employeurs devraient donc les valoriser plutôt que les exclure sur la base de préjugés. Par Oihab Allal-Chérif, Neoma Business School

Les gamers (joueurs) ont plutôt mauvaise réputation dans le monde professionnel. Ils sont souvent associés au stéréotype du no life (« pas de vie ») ou à l'addiction que peut provoquer le jeu. Pourtant, certains gamers développent des compétences transposables en entreprise et des comportements qui sont essentiels pour des managers : gestion de projet, travail en équipe, combinaison de talents, pilotage de la performance, planification, suivi des ressources, coordination, stratégie et leadership. Recruter des gamers peut donc apporter des solutions originales et efficaces aux challenges des entreprises modernes.


Métaphore organisationnelle de l'entreprise

Un jeu est caractérisé par : un ensemble de joueurs ; un ensemble de stratégies et d'actions possibles pour chaque joueur ; des récompenses en fonction des performances et des profils des joueurs ; et des règles du jeu. De manière similaire, les marchés sont caractérisés par un ensemble de concurrents, de clients et de fournisseurs qui doivent atteindre des objectifs et prendre des décisions décisives pour améliorer leur rentabilité et conquérir des parts de marché, tout en respectant la législation. Les compétences, les activités et les objectifs des joueurs peuvent en conséquence être mis en parallèle avec ceux des managers.


Dans le très populaire jeu Fortnite : Save the World, jusqu'à quatre joueurs de quatre classes de compétences différentes - constructeur, aventurier, ninja et soldat - s'associent pour survivre ensemble dans un monde post-apocalyptique peuplé de zombies. L'univers hostile dans lequel ils évoluent dispose d'une économie et d'une monnaie propre. Des événements imprévisibles se produisent. Les joueurs doivent acquérir et optimiser leurs ressources, établir des stratégies, anticiper les dangers, réaliser des transactions, créer des armes et des pièges, construire des fortifications et développer leurs compétences et leur expérience.


Dans Fortnite, les vagues de tempêtes et d'attaques de zombies peuvent être considérées comme une métaphore organisationnelle des vagues de changements et d'agressions que subissent les entreprises, de plus en plus intenses et de plus en plus rapprochées. Pour les joueurs de Fortnite, cette instabilité n'est pas une anomalie : elle est complètement naturelle. Ils ont adopté les réflexes nécessaires pour savoir comment agir en fonction de paramètres imprévisibles, de manière à optimiser la croissance comme les performances individuelles et collectives. Pour contrer ces menaces, les joueurs sont capables de décider ensemble rapidement de la bonne action à mener et du moment idéal pour en amplifier les effets.


Les jeux vidéo comme outils de formation

Certains jeux très populaires peuvent être considérés comme des formations plus performantes que celles délivrées dans les écoles ou les entreprises. C'est d'ailleurs ce qu'ont compris les grands groupes et les universités qui utilisent des serious games pour recruter et former leurs collaborateurs ou leurs étudiants. Les qualités immersives des jeux vidéo, amplifiées par les dernières technologies comme la 3D et la réalité augmentée ou virtuelle, contribuent à de meilleures performances d'apprentissage et de mémorisation.


Dans un MMORPG (massively multiplayer online role-playing game, ou « jeu de rôle en ligne massivement multijoueurs »), les joueurs évoluent au sein d'une guilde, c'est-à-dire d'un groupe organisé de personnes qui collaborent pour atteindre ensemble des objectifs communs. Un chef de guilde recrute les membres de son équipe selon leur savoir-faire et savoir-être, et « licencie » ceux qui ne sont pas performants ou ont un mauvais comportement. Il exerce ses talents de communication à distance avec des joueurs/collaborateurs de cultures, de générations et de profils socio-économiques différents. Il parvient à créer une motivation, une cohésion et un sentiment d'appartenance très fort parmi des joueurs aux profils hétérogènes qui accomplissent des missions et réalisent des exploits dans le jeu.


Dans les jeux d'heroic-fantasy comme World of Warcraft ou Dark Age of Camelot, l'objectif est d'accomplir des quêtes et d'affronter les autres royaumes. Des guildes de dizaines ou de centaines de joueurs, dont certaines sont professionnelles, s'organisent pour être les plus performantes et conquérantes. Les joueurs y partagent connaissances, compétences, motivations, codes, pratiques, histoire et identité. Le chef de guilde est un leader qui maîtrise la communication dans les mondes virtuels et développe la capacité de passer d'une activité à une autre sans perte de productivité et sans faire d'erreur.


Il gère des projets dans lesquels il exige rigueur et obéissance afin d'obtenir les résultats souhaités dans les délais et avec les ressources disponibles. Il utilise sa pensée divergente pour détourner les éléments disponibles de leur usage et bricoler des solutions originales et pertinentes.


Le gamer comme manager et entrepreneur

Les MMORPG sont des mondes virtuels dans lesquels un très grand nombre de personnages interagissent, évoluent et vivent des aventures. Ces jeux ont été pointés du doigt pour leurs effets addictifs et leur impact négatif sur la vie sociale. Mais si certains joueurs peuvent avoir des comportements autodestructeurs dangereux pour leur santé, d'autres développent leur intelligence, leur créativité, leurs compétences, et leurs comportements d'une manière qui peut être très utile aux entreprises.


Dans le jeu Second Life, créé en 2003 par Linden Lab, les joueurs sont invités à s'inventer une ou plusieurs autres identités et à vivre d'autres vies virtuellement. Ils peuvent y exercer le métier qu'ils souhaitent et apprendre à créer et à gérer une entreprise. Cette entreprise peut même générer des revenus dans le monde réel et devenir leur activité principale. Ailin Graef est devenue le « Rockefeller de Second Life » grâce à son avatar Anshe Chung, grâce auquel elle a gagné son premier million de dollars en 2006 en tant qu'agent immobilier virtuel. Elle a ensuite employé des centaines de programmeurs et de designers pour développer ses produits, et investi dans plusieurs entreprises de gaming dont Frenzoo, l'empire de la mode virtuelle.


Que ce soit sur YouTube ou sur Twitch, start-up rachetée 970 millions de dollars par Amazon en 2014, l'e-sport est également un bon moyen pour les gamers de créer leur business. En tant que streamers ils vont pouvoir diffuser leurs parties aux viewers qui s'abonnent à leur chaîne et interagir avec eux via une chatbox. Des tournois sont organisés pour certains jeux comme DOTA 2, jeu d'arène de bataille où deux équipes s'affrontent pour prendre le contrôle du territoire de l'autre et détruire sa base. Les dotations de ces tournois diffusés en live sur des plates-formes de streaming peuvent atteindre des dizaines de millions de dollars.


Savoir les accueillir

Au-delà du fait qu'être un gamer est plutôt mal perçu dans le monde professionnel, la plupart des organisations ne proposent pas des conditions favorables pour accueillir les joueurs de jeux vidéo. Un environnement de travail vertical, hiérarchique, bureaucratique, cloisonné et rigide est complètement inadapté pour de tels profils qui le jugent obsolète et inopérant. Ceux-ci préfèrent évoluer dans des organisations horizontales, transverses, dynamiques, agiles, décloisonnées et adhocratiques qui correspondent mieux à leurs pratiques.


Les recruteurs se retrouvent confrontés à la difficulté de contacter, d'attirer, d'intégrer et de conserver ces talents sans leur imposer un formatage qu'ils rejetteront ou qui les mettrait dans une situation de marginalisation vis-à-vis de leurs collègues. Dans ce contexte, les gamers vivent le management comme le décrit Peter Drucker : une façon de rendre le travail plus difficile en créant des contraintes inutiles. Les organisations ont donc aujourd'hui tendance à inhiber leur créativité et leurs initiatives par leur rigidité. Les modes de communication sont également trop formels, sans la spontanéité et la sincérité qui les mettraient en confiance.


Les gamers souhaitent également pouvoir travailler à distance, avoir des horaires flexibles et des feedbacks très réguliers sur les missions précises qu'ils doivent accomplir. Ils exigeront de pouvoir accéder aux meilleures technologies, hardware et software, pour être compétitifs et contribuer efficacement à la performance organisationnelle. Les gamers acquièrent par le jeu des talents extraordinaires qui peuvent être salutaires aux entreprises. Recruter des gamers paraît donc être une stratégie prometteuse, à condition de savoir les accueillir.

Source : www.latribune.fr par Oihab Allal-Chérif. Version originale publiée sur www.theconversation.com

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